SAINT AGATHOPE, DIACRE, ET SAINT THÉODULE, LECTEUR

(L'an de Jésus-Christ 303)

fêtés le 23 décembre


On a toujours vu le diable faire tous ses efforts pour détruire, par d'insidieuses suggestions, la piété qui se porte vers Dieu : néanmoins il ne peut rien obtenir des vaillants soldats du Christ; et ceux-là seuls succombent à ses attaques qui embrassent la foi d'un cœur lâche et sans énergie. En effet, de même que, dans les jours où la guerre s'étend sur un pays qui a joui d'une longue paix, l'homme courageux s'expose bien des fois aux coups et à la mort, afin de recevoir la couronne des vainqueurs, tandis que le lâche et le pusillanime cèdent facilement à l'ennemi, préférant à la gloire la conservation de leur vie; de même aussi, lorsque les satellites du dragon infernal commencent à persécuter les disciples du Christ, vous voyez l'un de ceux-ci, dont la foi est moins ferme, céder aux tourments et abandonner ses premières résolutions; et un autre, au contraire, qui s'est armé de la parole du Christ, garder inviolablement le culte du vrai Dieu, sans se laisser vaincre par la barbare cruauté de la tyrannie.
Tel, et plus admirable encore, se montre à nous Théodule, cet homme d'un cœur supérieur aux tourments, qui, avec Agathope, le généreux compagnon de sa confiance en Dieu, par sa constance et sa présence d'esprit, dissipe cette grande bourrasque d'impiété et cette furieuse tempête de l'idolâtrie délirante, qui ébranla l'univers entier au temps du César Maximien. Alors, en effet, des courriers parcouraient les provinces de l'empire, portant des décrets qui faisaient une loi aux peuples de renoncer au culte du Créateur de toutes choses, et ordonnaient aux gouverneurs d'employer tous leurs efforts et toute leur industrie pour détruire la divine religion. Ces décrets impies, qui menaçaient de mort quiconque refuserait de sacrifier aux idoles, produisirent sur les âmes deux effets opposés : les uns, regardant comme un avantage inestimable la courte jouissance de la vie présente, mangeaient des viandes offertes aux idoles, et pour une satisfaction momentanée, se préparaient une mort et une perte éternelles : d'autres, au contraire. qui jugeaient des choses plus sainement, et dont la foi était plus affermie, ne pouvaient consentir à renoncer au vrai Dieu, et ils se montraient disposés à subir les tourments.
Donc, tandis que le diable, l'auteur de cette persécution, tressaillait d'aise d'avoir surmonté les faibles que la peur avait saisis, Théodule et Agathope, consacrant tous leurs moments au jeûne et à la prière dans la maison de Dieu, conjuraient le Seigneur de détruire l’impiété. Les soldats et leurs chefs, ainsi que le préfet (du trésor publie, ne pouvant s'empêcher d'admirer la constance que ces saints faisaient paraître, en ce que, au moment où les chrétiens cherchaient à se cacher, eux seuls continuaient d'annoncer intrépidement la parole de Dieu, les amenèrent an lieu du combat. Lorsqu'ils furent chargés de chaînes, leur visage apparut plus gracieux qu'auparavant : celui de Théodule, jeune homme d'une modestie virginale, était florissant d'adolescence. Ses parents résidaient dans la ville de Thessalonique : il avait pour frères Capiton, Métrodore et Philostorge, jeunes comme lui, et comme lui aussi doués d'une parfaite piété envers Dieu: leurs mœurs et leur caractère cadraient parfaitement avec ceux du martyr. Celui-ci, quelque temps auparavant, avait reçu du ciel les arrhes du combat qu'à devait soutenir. L'impie décret de persécution n'avait pas encore été, promulgué, qu'une nuit, pendant son sommeil, il sentit qu'on lui mettait quelque chose à la main. S'étant éveillé aussitôt , il regarde et aperçoit un anneau d’une matière inconnue, qui avait au chaton un sceau. Je présume que le Maître de l'univers voulait par là lui indiquer que c'était un présent de Celui qui commande aux quatre éléments; car s'il survenait une maladie grave ou même désespérée, la seule présence de cet anneau suffisait pour la guérir.
Tel était, comme nous l'avons dit, le jeune Théodule. Agathope, qui partageait ses sentiments, était un homme âgé, que la blancheur de sa chevelure rendait vénérable, et qui persévéra constamment jusqu'à la fin dans la sainteté de vie qu'il avait d'abord embrassée. C'étaient donc deux fidèles et chastes ministres de la religion; car, méprisant les voluptés charnelles, ils n'envisageaient assidûment que Dieu et Jésus son Verbe. Agathope, en qualité de diacre, administrait aux fidèles les choses qui regardent le salut; Théodule, qui était lecteur, confirmait la foi des fidèles par la lecture qu'il leur faisait des écrits des apôtres et des prophètes. Lorsque les démons cherchaient à pervertir la nature, soit dans les âmes, soit dans les corps des hommes, il les conjurait par sa seule parole; et fort du signe de la croix, leur enjoignait de ne pas souiller l'œuvre de Dieu même; les démons lui obéissaient et se retiraient en vociférant, et en confessant la puissance de Celui qui par Théodule exerçait contre eux sa divine autorité.
Faustin était alors gouverneur de Thessalonique. S'étant fait amener Théodule et Agathope devant son tribunal, lorsqu'il les vit, le visage rayonnant, proférer de concert la même parole : «Nous sommes chrétiens,» et se donner la main comme étant parfaitement unis dans la même pensée, il fut effrayé de la manière ingénue et tranquille, mais libre, dont ils parlaient, comme s'il eût prévu que ceux-ci, bien que seuls et sans soutien, prévaudraient contre lui par la générosité de leurs sentiments et par l'illustration de leur mort. Dans le dessein de gagner Théodule par la persuasion, il fit retirer tout le monde; puis, feignant d’être son ami, il lui adressa des paroles, croyait-il, pleines de bienveillance : «Laisse-toi enfin persuader, jeune homme, lui disait-il, de peur que, persévérant dans ton illusion, tu ne te prives toi-même de la vie.» Théodule lui répondit d'un visage calme et avec air sourire : «Il est vrai que je me suis déjà délivré de toute erreur et de toute imposture mais je crains que, dans ton zèle excessif pour de vaines idoles, tu ne te précipites toi-même dans une mort éternelle.» Comme le président, insensible à ces paroles, continuait de le flatter en lui promettant des présents et des honneurs, afin de le déterminer à sacrifier, un certain Xénus, prêtre de Jupiter, lui dit : «Si la promesse des hommes ne peut te décider au sacrifice exigé, les supplices t'y contraindront infailliblement; et ainsi tu accompliras les ordres des empereurs.» Le martyr répondit : «La crainte de tout ce qu'on pourrait me faire me touche si peu, qu'elle ne saurait me faire fléchir en quoi que ce soit.»
Le président l'exhorta de nouveau à bien examiner quelle différence il y a entre une vie passée dans les honneurs et une mort subie dans les tourments. Mais Théodule lui dit : «Oui, certes, j'ai considéré, tout cela : c'est pourquoi je suis résolument décidé à mépriser les jours si courts et si misérables de la vie présente, afin de participer aux biens célestes. Livre donc ce corps au feu, et tu connaîtras, par ce que tu lui feras souffrir, qu'il est sujet à la destruction; mais quant à l'âme raisonnable, qui est invulnérable de toute part, étant ainsi plus promptement délivrée des choses terrestres et des misères présentes, elle trouvera en cela de grands sujets de joie.» Le président Faustin lui dit alors : «Et quel est, je te prie, ce personnage qui procure un si grand bien, et pour l'autour duquel tu es aujourd'hui résolu à mépriser les tourments et la mort ?» Théodule lui répondit : «C’est Dieu et soit Fils Jésus Christ, le Verbe du Père. Dès l'enfance j'ai été marqué du sceau de sa croix, et jusqu'à la fin de ma vie je conserverai ce signe salutaire; toi et tous les tyrans ennemis de la religion, vous me feriez plutôt perdre ce corps que d'effacer ce cachet indélébile.» Faustin, dans le dessein de réfuter ses paroles, lui dit : «Très bien, jeune homme. Tu as sans doute inventé cette barrière, ce sceau de ton Dieu ?» «Non certes, répliqua Théodule; je suis un infidèle ministre du culte divin, mais contre lequel tu ne pourras jamais rien, ni par le fer, ni par le feu. Tu peux m'insulter quand je veux prêcher le Christ Dieu; mais tu ne saurais briser cette barrière dont la raison et la foi garantissent la solidité.»
Faustin, admirant la constance de cet adolescent, ordonna qu'on introduisît Agathope, après avoir fait emmener bien loin Théodule. Lorsque Agathope fût devant son tribunal, il lui dit : «Sacrifie, Agathope; Théodule, qui avait d'abord été induit en erreur, vient de promettre d'offrir le sacrifice exigé.» Agathope, découvrant aisément le mensonge, répondit : «Et moi aussi j'offrirai sans retard et bien volontiers un sacrifice à Dieu et à son Fils Jésus Christ, selon sa parole; et c'est là le sacrifice de suave odeur que Théodule a promis d'offrir.» Faustin lui dit : «Non, ce n'est pas à ceux que tu appelles Dieu, que Théodule a promis de sacrifier; mais c'est à nos douze grands dieux qui veillent à la conservation de cet univers.» Agathope, branlant doucement la tête, lui répondit : «Tu appelles dieux des objets matériels et corruptibles, auxquels l'industrie de l'ouvrier a donné une figure humaine ? Ce sont des dieux, ces statues que les hommes ont fabriquées de leurs mains, et se sont propose d'honorer, comme si elles étaient meilleures et plus excellentes qu'eux-mêmes ? Les beaux dieux, vraiment, qui ne peuvent se défendre de ceux qui veulent les renverser; qui ne peuvent se servir ni de leurs veux, ni de leurs pieds; car ils n'ont aucun sentiment. Si, ainsi que l'a cru l'antiquité, ils ont été autrefois animés de la vie comme les autres hommes, on sait à quelles infamies, même contre nature, ils sont livrés. Maintenant les marchands vendent leurs simulacres pour quatre oboles : tu veux que j'offre un sacrifice, dû au seul Tout-puissant, à une créature indigne que tu appelles Dieu, afin qu'elle te regarde avec ses yeux sculptés ou que je lui chante un hymne agréable, afin que, recevant le son par ses oreilles d'or ou d'argent, elle me mette en possession de choses auxquelles elle ne peut pas même prendre part !»
Tandis qu'Agathope discourait ainsi, les assesseurs du président craignirent que les autres qui devaient subir l'interrogatoire n'en fussent encouragés à garder plus fortement leur foi : ils ordonnèrent donc de le reconduire immédiatement en prison avec Théodule. La foule nombreuse qui était présente les suivit en les affligeant de diverses manières. Tandis que les uns, touchés de l'âge tendre de Théodule, tâchaient de le faire renoncer au dessein qu'avait formé son âme inflexible, d'autres, admirant les vénérables cheveux blancs d'Agathope, lui disaient : «Et toi aussi, Agathope, comme un jeune homme inexpérimenté, tu ne sais pas ce qui t'est avantageux.» Mais les martyrs, qui avaient hâte d'arriver à ce qu'il y a de meilleur pour l'âme, et qui n'envisageaient que la religion, cette conseillère des plus salutaires résolutions, ne firent aucune réponse; et après qu'ils furent entrés dans la prison, ils se répandirent silencieusement en prières; puis ils se livrèrent au sommeil, durant lequel ils furent divinement affermis dans la foi. Au milieu de la nuit ils se levèrent pleins de joie, et ils invoquèrent Jésus Christ le Sauveur de tous. S'étant ensuite lavé les mains, ils se prosternèrent à terre, et adressèrent à Dieu, comme à l'envi, cette prière : «Ô Dieu, Créateur de toutes choses, vous qui savez tout, qui avez tiré du chaos ce monde visible, réglant ce bel ordre du ciel, qui jamais n'est troublé, où vous avez placé le soleil pour éclairer durant le jour, et la lune pour dissiper par sa clarté les ténèbres de la nuit, afin que tous deux, conjointement avec les autres astres, contribuassent à la végétation des plantes que produit la terre; vous qui avez assigné ce globe terrestre pour demeure aux animaux, de même que l'air aux oiseaux, et la mer aux poissons, afin que la mer servît l'homme que vous avez créé, par les richesses qu'elle renferme en son sein; que l'air, par le ravissant ramage des oiseaux qui l'habitent, vous chantât un cantique qui vous fût agréable, et que la terre, produisant de son sein fertile des fruits de tout genre pour l’usage du genre humain, vous rendît par l'homme, ô Maître de l'univers, un hymne de louanges et les plus vives actions de grâces; dans votre bonté, vous n'avez pas voulu que notre race périt entièrement, bien qu'elle fût couverte de crimes, ayant horreur de vos commandements et se livrant impudemment à la crapule et à la luxure. Vous n'avez pas permis au diable d'aveugler et de précipiter dans le Tartare une créature douée de raison; mais, mettant en oubli les péchés, qu'elle avait commis contre vous, vous avez envoyé du ciel aux hommes votre Fils unique, dont les entrailles sont toutes de miséricorde, afin que, revêtant la nature humaine, il adjoignit à notre mortalité son essence immortelle, et que ce Verbe divin, toujours uni à vous et par qui toutes choses ont été faites, fit rentrer dans la voie droite de la vraie religion ceux qui s'égaraient dans les nombreux sentiers de l'injustice. En effet, ô Dieu clément, vous avec le Fils, et le Fils avec vous dans l'unité du saint Esprit, parcourant du regard le globe terrestre. vous avez par vos merveilles attiré les impies à la foi. C'est vous qui, par votre seule parole, brisant des liens
humainement indissolubles, et faisant céder la loi de la nature et la puissance de la mort avez rappelé du tombeau Lazare qui avait subi la commune loi de l'humanité, et qui depuis quatre jours reposait inanimé dans le sépulcre. C'est vous aussi, Seigneur, qui mettant de la boue sur les yeux d'un homme privé de la vue et de la faculté de contempler le soleil que vous avez donné au monde, lui avez rendu la jouissance du regard. De même aussi, une femme sujette à un flux de sang recouvra la santé par le seul contact du bord de votre vêtement. Et c'est encore ainsi qu'il vous plut d'ordonner à un paralytique d'emporter le grabat sur lequel on le portait. Maintenant donc, ô Dieu, qu'il vous plaise aussi de nous faire la grâce, à nous qui sommes ici réunis pour votre nom, de surmonter généreusement les tourments que les impies nous destinent, afin que nous puissions parvenir au royaume céleste.»
Tandis que les saints Agathope et Théodule priaient ainsi, tous ceux qui étaient détenus dans la même prison pour crimes d'homicide ou d'adultère, déposant soudain toute crainte de la mort, se prosternèrent aux pieds des bienheureux martyrs, implorant avec instances le pardon de leurs péchés; et la foule qui se tenait dehors, avant brisé les portes de la prison, ne se lassait point d'admirer les paroles qui sortaient de leur bouche. Un certain Urbain, surnommé Eupséphius, questeur de Thessalonique et ministre impie de la superstition diabolique, voyant ce qui se passait, courut en prévenir le président, criant à tue-tête que si l'on ne se pressait de faire mourir les serviteurs de Dieu, il y en aurait un grand nombre qui refuseraient de sacrifier aux dieux. Faustin irrité d'apprendre surtout que la foule avait fait irruption dans la prison, donna ordre de lui amener sans délai le jeune homme avec le vieillard, et ceux qui les entendaient prêcher la parole de Dieu d'un air si joyeux et si énergique, étaient stupéfaits de les voir aussi se congratuler mutuellement du supplice imminent qui les attendait, comme si on les eût emmenés pour recevoir les honneurs du triomphe ou pour jouir d'une partie de plaisir.
Lorsque les martyrs furent arrivés devant le tribunal, le
président Faustin dit à Théodule : «Quel est ton nom ?» Il
répondit : «Je me nomme Théodule.» Faustin : «Ne sais-tu
pas encore qu'il est juste et équitable d'obtempérer aux ordres
de Maximien, le maître de nous tous ?» Théodule : «J'ai appris à observer soigneusement ce qu'ordonne le Seigneur du
ciel et de la terre : quant à ce que commande Maximien, si
c'est une chose juste, je pense qu'il faut lui obéir, et si elle est injuste refuser absolument l'obéissance.» «Apprends-moi, dit Faustin, quel est celui qui a fait le ciel.» «C'est le Dieu tout puissant, répondit Théodule, et son Fils Jésus Christ, qui est le Verbe du Père.» Faustin : «N'est-ce pas celui que les Juifs ont crucifié, après lui avoir fait endurer les plus cruels tourments ?» «C'est celui-là même, repartit Théodule, qui a été crucifié par les Juifs (ce qu'il voulut bien souffrir pour l'amour de nous); celui-là même qui peu après, revint à la vie; celui-là même que les Juifs virent monter au ciel, par la vertu de l'Esprit, afin que, par sa victoire sur la mort, il pût convaincre l'esprit réfractaire des incrédules.» «Pourquoi, lui dit Faustin, penses-tu qu'il ne vaudrait pas mieux sacrifier à nos dieux ?» «Parce que, répondit Théodule, il vaut infiniment mieux honorer celui qui donne la beauté et l'élégance aux simulacres, que les simulacres mêmes, qui n'existent que pour le plaisir des yeux et la subversion des âmes : en effet, l'ouvrier est sans doute plus excellent que son ouvrage.»
Faustin, voyant qu'il n'obtenait rien par les paroles, prit le parti d'en venir aux tourments. Il ordonna donc de dépouiller le jeune homme. Comme les satellites lui arrachaient ses vêtements avec violence, pendant que le crieur public lui disait : «Sacrifie, et on te laissera aller;» Théodule dit au président : «Tu peux dépouiller mon corps de ses vêtements; mais jamais il ne sera en ton pouvoir de m'enlever la foi que mon âme a en Dieu.» Faustin, voyant qu'il continuait de parler ainsi avec une grande liberté, méprisant les tourments dont on le menaçait et appelant Maximien un tyran, donna l'ordre de faire sacrifier en sa présence quelques chrétien, qui avaient cédé aux tourments. Mais Théodule lui dit : «Ces supplices sont peu de chose, ils sont même ridicules. Tu n'as qu'à en inventer de plus âpres contre nous, afin que tu voies combien est parfaite notre union en Dieu, laquelle fait que nous sommes tout disposés à subir toutes les tortures que l'on voudra pour notre sainte religion.» «Il faut, lui dit Faustin, que tu m'apportes ici ce que les chrétiens appellent les saintes Écritures.» «Si tu viens à résipiscence, répondit Théodule, si tu connais la vanité des idoles, et si alors tu demandes les écrits des apôtres et des prophètes dans le dessein d'affermir ton âme dans la vraie religion, je te les apporterai avec un grand plaisir : si tu as d'autres pensées, ne crois pas que je sois disposé à te livrer le don de Dieu.» «Eh bien, sache donc, jeune adolescent, lui dit Faustin, que je n'épargnerai point ton corps : je le ferai mutiler, je l'exposerai à la dent des bêtes féroces, si tu ne consens à obéir tout de suite à mes ordres.» Théodule répondit : «Il t'est permis présentement de sévir selon tes caprices sur mon corps; mais quand bien même, dans ta téméraire et imprudente cruauté, tu me ferais subir des tourments encore plus acerbes que ceux dont tu me menaces, jamais je ne consentirai à ce qui est injuste.»
Après qu'ils eurent passé beaucoup de temps dans ces débats, sans que Théodule pût être amené à livrer les Écritures, diverses personnes s'approchèrent de lui dans le dessein de le gagner par des paroles flatteuses et de trompeuses promesses, ou de l'effrayer par des menaces. Mais Théodule, comme un mur d'airain, demeurait inébranlable et méprisait et les promesses et les menaces. Alors le président, pour l'intimider, rendit contre lui une sentence capitale, faisant toutefois aux licteurs un signe négatif. Lorsqu'on fut arrivé au lieu destiné à l'exécution des criminels, Théodule, voyant le bourreau dégainer son glaive, lui tendit aussitôt la tête, invoquant le Seigneur par ces paroles : «Gloire à vous, Père de mon Seigneur qui a voulu subir la mort pour nous; car voici que je vais être avec vous, à cause de la confiance que j'ai placée en vous, et par la grâce de Celui qui a foulé aux pieds la mort.» Faustin, comprenant que Théodule avait volontairement tendu la tête au glaive, comme étant sur le point de recevoir la couronne, le fit ramener à son tribunal et interrogea ensuite Agathope.
«Quel est ton nom ?» lui dit le président. «Agathope,» répondit le martyr. «Quelle est ta profession ?« «La même que Théodule.» Faustin : «Comment s'est formée cette union qui existe entre vous ? Quelle parenté, quelle sympathie ont fait naître ces tendres sentiments réciproques ?» Agathope : «Aucun lieu naturel ne nous unit; c'est uniquement la conformité de mœurs et de sentiments qui a formé et qui entretient notre mutuelle affection; et autant nous différons par l'âge, autant nous sommes unis par l'Esprit.» Le président : «Ainsi donc, comme l'indiquent tes paroles , vous courez tous deux au même supplice.» Agathope : «Si nous sortons de cette vie de la même manière, nous recevrons de Dieu la même récompense.» Faustin : «N'est-il pas honteux pour toi, avec tes cheveux blancs, de te laisser ainsi abuser comme cet adolescent, et de courir à ta perte ?» Agathope : «Je ne m'abuse nullement, en plaçant dans le Christ toute mon espérance : plus je suis âgé, plus je m'efforce de me rendre agréable à Dieu par les dispositions de mon âme; et je loue Théodule d'agir si vaillamment dans la première fleur de la jeunesse.»
Faustin s'adressant à Théodule : «Prends garde, lui dit-il, toi qui es encore dans l'adolescence, à ne pas te laisser illusionner par les discours de ce radoteur, de peur que tu ne tombes par ta témérité sous le tranchant du glaive, comme il est vieux, il n'est pas étonnant qu'il se hâte de terminer sa carrière; mais toi, rien ne saurait t'affermir dans ce dessein, ni les ennuis de la vie, ni quoi que ce soit.» Théodule repartit vivement : «Je ne m'estime pas assez pusillanime pour consentir à ce qu'un vieillard soit plus courageux que moi, avec mon jeune âge, quand il s'agit de supporter des tourments en vue de la religion.» Comme ils parlaient ainsi, et qu'ils invoquaient le Christ, les satellites les en reprirent, et après les avoir enchaînés, ils les reconduisirent en prison : pour eux, ils louaient Dieu, et le remerciaient de leur avoir prêté secours pour vaincre le diable. Durant le trajet, quelques amis et familiers les abordèrent les larmes aux yeux : Théodule les apercevant leur dit : «Que signifient ce concours et ces pleurs ?» «C'est votre malheur que nous déplorons,» lui répondirent-ils. Théodule, souriant, leur dit avec un visage serein : «Il n'y a pas lieu de vous apitoyer sur nous qui courons vers un meilleur sort, tandis que vous-mêmes êtes insensibles à vos propres malheurs.» Comme il parlait ainsi, un soldat s'approcha d'eux, les chargea de chaînes et les relégua dans le fond de la prison, ou la foule ne pouvait pénétrer. Dès que la nuit fut venue, les martyrs se mirent à louer Dieu, le suppliant de les maintenir fermes et constants dans la religion : après quoi il se livrèrent au sommeil.
Le Christ, qui veille toujours sur ses saints, fit connaître
à ceux-ci qui n'avaient qu'un cœur et qu’une âme, par une
même vision, ce qui devait leur arriver, selon leur prière. Il
leur semblait qu'ils étaient montés sur un vaisseau battu
en pleine mer par la violence des vents et par la tempête;
les rames et tous les agrès s'étaient brisés par la furie des
vagues; le bâtiment ballotté çà et là commençait à s'entrouvrir : parmi les passagers, les uns étaient engloutis par les flots, les autres allaient se briser contre des écueils. Pour eux, il étaient arrachés au péril par l'habileté du pilote; puis ayant revêtu un vêtement de couleur éclatante, ils gravissaient une montagne délicieuse, du sommet de laquelle ils étaient emportés dans les cieux. Après avoir contemplé simultanément cette vision, ils s'éveillèrent subitement, et chacun d'eux s'empressa de raconter à l'autre ce qu'il avait vu, comme s'il l'eût ignoré. S'apercevant alors que le Christ les avait favorisés de la même grâce, ils sentirent s'affermir leur espérance, et s'étant prosternés par terre, ils chantèrent des louanges au Christ pour la faveur qu'il venait de leur octroyer, disant : «Qui eût jamais pu s'attendre à un bienfait pareil à celui que vous venez de nous départir, ô Dieu, par la bonté de votre Fils Jésus ? Quel est celui, si dur et inhumain qu'il soit, qu'une telle munificence ne touchait pas, et qui ne préférerait le service de Dieu à toutes les joies du monde ? Quel homme fut jamais enclin à la bienfaisance comme votre Fils, qui, même avant la récompense, nous donne de si assurés témoignages de sa grâce dans une vision, et qui, nous montrant la couronne avant le combat, nous rend ainsi plus forts et plus constants dans l'arène ?»
Comme ils priaient de la sorte, les gardiens entrèrent dans la prison, pour annoncer que le président demandait Théodule et Agathope. Les martyrs, imprimant sur leur front le signe du Christ, suivirent les satellites, enchaînés comme ils étaient. Lorsqu'ils parurent, leurs amis parmi les gentils éclatèrent en sanglots et versèrent beaucoup de larmes, en songeant à la mort généreuse qui allait les séparer de leur aimable société. Théodule leur dit d'un visage gai : «Si c'est l'amitié qui vous fait verser des pleurs, vous êtes dans l'erreur : vous devriez plutôt nous congratuler de nous voir soumis à de telles épreuves pour une cause aussi belle; si c'est par envie, pleurez plutôt sur le malheur des autres. En effet, la même lice pour les combats de la religion est ouverte à tous, et tous y sont invités également par la prédication de la foi : mais il y en a peu qui remportent la couronne de ces combats, et ce sont ceux qui ne sont pas enchaînés par l'amour des richesses ni des voluptés.» Tandis qu'il parlait ainsi, le président Faustin, s'étant assis sur son tribunal, les interrogea pour la troisième fois. Et comme ils ne répondaient autre chose, sinon : «Nous sommes chrétiens, et nous sommes résolus à tout souffrir pour le nom du Christ,» il rendit d'un visage triste la sentence de mort, qui portait que Théodule et Agathope seraient jetés dans la mer pour n'avoir pas voulu sacrifier aux dieux.
Les satellites saisissant aussitôt les bienheureux, leur lièrent les mains par derrière, et leur attachèrent au cou et le long du dos un assemblage de pièces de bois auxquelles ils adaptèrent des pierres, destinées par leur poids à les entraîner au fond de la mer. Pendant qu'on faisait ces apprêts, on voyait çà et là sur la mer des barques remplies des amis des deux martyrs : les uns pleuraient à chaudes larmes à cause de l'affection qu'ils leur portaient; les autres célébraient par des chants les généreux combats des saints athlètes contre le dragon infernal, et le genre de mort qu'ils allaient subir si courageusement pour la religion du Christ. Au moment où la nacelle qui portait les martyrs allait toucher au lieu destiné à leur supplice, quelques païens, quittant leur barque, allèrent adresser au président Faustin des paroles capables, pensaient -ils, de fléchir son âme obstinée. En quoi ils ne se trompaient pas; car cédant à leurs prières, il députa vers les martyrs Fulvius, homme illustre, pour les conjurer de renoncer à Dieu, en offrant seulement un grain d'encens. Mais la grâce de Dieu les avait confirmés dans la foi, et ils se bornèrent à invoquer Jésus-Christ.
Enfin, un long temps s'étant écoulé dans ces entrefaites, les satellites se disposèrent à submerger Agathope. Celui-ci levant la tête vers le ciel, s'écria d'une voix plus forte qu'il n'avait coutume : «C'est par ce second baptême que nous voulons laver les moindres restes du péché, et que nous nous hâtons d'aller au Christ Jésus avec des âmes pures.» Dès qu'il eut cessé de parler, les soldats le précipitèrent dans les flots avec Théodule, ainsi décoré de la couronne de la victoire pour la défense de la religion. La mer les ayant reçus dans son sein, brisa les liens qui retenaient les pierres, et rendit à leurs amis leurs corps doués d'une beauté sans pareille. Peu de temps après, Théodule apparut couvert d'une robe éclatante, et fit distribuer, par parties égales, tous ses biens aux veuves et aux orphelins, pour les soulager. Par là il voulait, après sa sortie de cette vie, non seulement pourvoir aux besoins des indigents, mais encore exciter ses proches à imiter cet exemple de charité.
C'est donc avec raison que nous nous assemblons chaque année pour célébrer la mémoire de ces saints : il est, en effet, juste et équitable que nous offrions nos prières, après leur mort, à ceux qui ont agi si vaillamment pour la vérité, et que nous nous efforcions de tout notre pouvoir d'imiter leur foi.
Théodule et Agathope furent martyrisés la veille des nones d'avril, par la grâce du Père et du Fils et du saint Esprit, dans les siècles des siècles. Amen.